"Soyons des nomades contemplatifs"
Soyons des nomades contemplatifs, tel est le titre du bel article de Florian Rochet, présenté dans la rubrique "Penser à l'air libre" de la revue Ultreïa! dont j'ai parlé dans mon dernier article ...
Florian Rochet, qui a parcouru l'Europe en bus et à vélo, s'est beaucoup interrogé sur l'état nomade, et sur ce qui pousse les hommes (et là, j'ai envie d'ajouter "et les femmes", le terme générique "homme" ne me convenant pas pour une fois ...) à mettre"leur sort en balance" comme l'écrivait Nicolas bouvier*. En 2013, il rédige un mémoire transdisciplinaire sur la poésie du voyage et de l'aventure.
Selon lui, le cheminement poétique du voyage opère dans l'esprit à travers un schéma cyclique conditionné par trois étapes clés: la fugue, le sacrifice et le partage ... les quatre premières pages de l'article présentent rapidement ces trois étapes ... je souhaite vous faire partgager la suite de l'article, avec deux extraits qui m'ont particulièrement touchée (pour rendre la lecture plus fluide sur écran, je vais faire des paragraphes, inexistants dans l'original ...):
"Des vertus initiatiques
Toute itinérance au long court revêt donc des vertus initiatiques. De façon inconsciente, celui (celle) qui se lance dans cette aventure rejoint les premières traditions de l'homme, celles des rites dont Claude Levi-Strauss écrit que de manière universelle, ils commencent tous par la mise à mort symbolique de l'homme et finissent tous par sa résurrection au sein de la société.
Mais à quoi sert l'initiation? Ce phénomène a deux objectifs principaux: accepter son avenir, son devenir et surtout sa finitude, digérer le temps qui passe. Ensuite, sortir de l'enfance, se détacher du cocon maternel, des images affectives trop enveloppantes et gagner en autonomie.
Ecrire sur son périple est aussi une façon de vaincre le temps et la mort, puisque la créativité est souvent gage d'immortalité. L'aventure, qui est une perpétuelle sortie des sentiers battus, peut s'apparenter à ce que levi-Strauss appelle du "bricolage", une manière d'aborder le monde propre à la pensée mythique. Le voyageur (la voyageuse) fait du "bricolage" lorsque , par le biais de la poésie, il (elle) va tenter d'expliquer une déroute, un obstacle moral ou physique, ou l'imprévu auquel il (elle) donnera du sens.
Au détour du chemin, il (elle) cherche une magie dont il (elle) rend compte le plus fréquemment par la rédaction et la confection d'un carnet de voyage. En cheminant hors du temps et de l'espace (le temps qui dirige sa vie "profane" et l'espace qu'il/elle habite), il (elle) produit ou reproduit un temps mythique, il (elle) est à la recherche d'un paradis perdu.
Tout voyage d'aventure participe alors à notre propre légende, nous vivons là un de nos mythe fondateurs, qui en dit plus qu'un simple voyage mais parle plutôt de la construction de soi ou de la détermiation de notre destinée. L'itinérant(e) donne ainsi du sens à sa vie et à ses lendemains."
Excusez-moi d'apesantir la lecture par mes ajouts de pronoms féminins, mais voilà, ça me hérisse un peu de lire tout ça au masculin, comme si c'était une évidence, alors que tant de femmes ont aussi vécu cette démarche, et même ont inspiré l'auteur de cet article !!! Ce soir je suis trop fatiguée mentalement pour chercher une autre formule, mais je me dis que FR aurait pu faire un petit effort pour tourner son texte autrement ... Tiens, ne serait ce qu'en utilisant le "nous", comme à la fin de cet extrait ... je ferme la parenthèse, c'était mon petit coup de gueule, et vous comprendrez d'autant mieux, lors de mes articles à venir ... clin d'oeil à mes "soeurs" ...)
Allez, un dernier petit extrait, lorsque l'article touche à sa fin:
"Héros de sa propre destinée
Pourtant, l'aventure d'aujourd'hui n'est plus celle d'hier, il n'est plus guère d'espace à défricher ou à conquérir. Néanmoins, l'aventure se pare toujours des traits de nombreux mythes héroïques. Le voyageur/... est le héros de sa propre destinée dans le sens où il/... va affronter ses propres démons.
L'itinérance permet de vivre des expériences qui tendent vers "l'inhumain". Tantôt le voyageur/... se rapproche du statut de héros symbolique, au moment où il/... part vers l'ailleurs et lorsqu'il/... arrive à affronter les péripéties qui lui barrent la route, tantôt celui de l'animal, quand il/... sombre, s'exile et prend des airs sauvages. Ainsi, l'aventurier/... part à la recherche de paradis perdus et de nature vierge, autres symboles du maternel.
On peut relier la recherche de nature sauvage à une volonté inconsciente d'aller à la rencontre des frontières de la civilisation, et donc des frontières de notre être. Voyager, c'est aussi tester l'opacité des frontières du dehors et du dedans, aux limites du "chaos". "
Si vous souhaitez aller plus loin sur ce sujet, vous pourrez lire le mémoire de Florian Rochet qui est consultable ici
*Dans la rubrique "Nobles voyageurs" de ce numéro 7 d'Ultreïa, vous pourrez lire un beau portrait du voyageur-écrivain Nicolas Bouvier ... mais comment ai-je pu ne pas le connaître plus tôt ???